Ce Noël d’une année sans date, César, le roi-lion à l’insigne sagesse, a fait battre tambour pour prévenir ses sujets de l’arrivée d'une horde de chats errants, tambourinant aux portes du royaume. Il a demandé qu’en ces temps où l’on célébrait la naissance du Sauveur, le meilleur accueil fût réservé à ces damnés de la terre. On écouta, incrédule, la demande du vieux monarque.
Depuis des lustres on luttait, souvent en vain, pour établir la concorde entre les gloussements des gallinacés, les rugissements des grands félins et le chant des oiseaux musiciens. Les chiens de garde du palais montraient parfois les crocs et quelques morsures distribuées à tort et à travers déclenchaient la colère de groupes incontrôlés qui saccageaient tanières et enclos résidentiels.
Les fauteurs de trouble se nommaient Raminagrobis, Mistigri ou Grippeminaud. Tous anarchistes. Qu’allait-on faire de nouveaux citoyens de seconde zone ? La polémique enflait et, dans les rues de la capitale, tous ceux qui pouvaient se prévaloir d’un pedigree organisèrent des manifestations aux slogans ressuscités d’un passé nauséabond. Les conseillers de César eux-mêmes se montraient divisés mais avec une prudence teintée de lâcheté. Ils finiraient toujours par se rallier au pouvoir. Le souverain le savait et s’en amusait secrètement.
L’attente planait sur le réveillon désormais imminent. C’est alors que sur les remparts les trompettes retentirent et que l’on vit s’avancer un long cortège de chats sans grade, rescapés de la barbarie humaine ou de guerres intestines pour un arpent de territoire. Leur nombreuse progéniture, éblouie par les lumières de la fête, miaulait d’étonnement et d’espoir. En voyant passer ce troupeau d’éclopés, beaucoup malgré leur a priori succombèrent à la pitié et les portes des maisons s’ouvrirent pour eux. On n’eut à déplorer aucun incident et César, cette nuit-là, vécut la plus belle aventure de sa longue carrière royale.
Martine Gasnier, décembre 2023