Prix unique des frais de port pour le livre : chronique d'un échec annoncé

infoediteur Par Le 08/10/2021

Dans Actualités

L’Assemblée nationale vient de débattre d’un projet de loi sur l’économie du livre qui vise, selon ses initiateurs, à garantir des conditions équitables aux différents acteurs de la filière. L’objectif annoncé est de remédier à l’inégalité de traitement concernant les tarifs d’expédition du livre selon qu’ils sont envoyés par une grande plate-forme, genre Amazon, ou par une petite entreprise.
Sur le principe, on ne peut que se réjouir des intentions affichées.
Actuellement cette inégalité de fait porte atteinte au principe du prix unique du livre. Tout le monde doit le reconnaître.
L’association L’Autre livre, qui regroupe près de 200 éditeurs indépendants, se bat depuis plusieurs années sur ce sujet. Nous sommes ainsi à l’origine d’une pétition qui réclamait un tarif postal préférentiel pour le livre et avait réuni plus de 4000 signataires parmi les professionnels du Livre (auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires…).
Pour nos maisons d’édition, le coût d’envoi des livres est devenu exorbitant et menace parfois même leur existence.
Lors du confinement, le Gouvernement avait décidé de mesures exceptionnelles pour rembourser les libraires de leurs frais d’envoi. Cette mesure a été mise en œuvre à la fin du confinement mais elle a néanmoins bénéficié à beaucoup.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus de faire un simple geste  ponctuel mais de modifier des conditions économiques du secteur. Le but visé semble surtout être de contraindre les grandes plate-formes à payer plus cher.
Selon nous, ces diverses mesures ne sont pas la bonne réponse à apporter au problème posé.

En tant qu’éditeurs indépendants, nous aussi, nous expédions des livres (aux auteurs, aux libraires, aux journalistes, aux bibliothèques, aux lecteurs…). Et nous sommes gravement pénalisés par la situation actuelle. Pensez qu’un roman de 250 pages au prix public de 15 euros coûte plus de 5 € de frais postaux ! Un tiers du livre y passe… Autant que la remise au libraire et plus de trois fois ce qui revient à l’auteur !
Malgré le sérieux de nos arguments, on nous a toujours objecté que, du fait du statut de la Poste, l’Etat serait obligé de compenser sa perte de chiffre d’affaires. Mais les mesures déjà prises (et celles qui sont envisagées) réduisent à peu de chose la portée de cette objection.
Il faut enfin des mesures radicales pour garantir un vrai prix unique du livre, incluant les frais d’envoi.
L'association soumet deux idées :

1 – Ce n’est pas telle ou telle catégorie d’acteurs du livre qui doit bénéficier d’un effort… Mais tous ceux qui envoient des livres. Qu’ils soient auteurs, éditeurs, libraires, lecteurs. Il s’agit (comme cela fut fait après-guerre pour les journaux, afin de favoriser la liberté de la presse), aujourd’hui de favoriser la circulation des livres, pour aider à la promotion de la culture et de la lecture. C’est donc le livre, en tant qu’objet culturel, (et non tel ou tel acteur) qui doit bénéficier d’un tarif préférentiel.

2 – Nous faisons une proposition claire et simple : il existe dans la tarification de la Poste un tarif spécial, dit « livres et brochures », censé encourager la promotion de la francophonie à l’étranger. Ce tarif est beaucoup plus avantageux que ceux qui nous sont imposés pour les expéditions en France. Nous demandons purement et simplement la généralisation de ce tarif à tous les envois de livres.

Ainsi s'exprimait Francis Combes sur le site de l'autre LIVRE le 7 octobre 2021.

Nous semblions entendus jusqu'au plus haut niveau ! Mais nos revendications légitimes ont été détournées pour imposer des frais d'expédition minimums pour l'envoi de livres, dont le plancher n'a pas encore été fixé. On parle de 3 à 5 €. C'est le texte de loi qui vient d'être adopté par l'Assemblée nationale. L

Qui seront les gagants ? Les libraires ? Certainement pas, les lecteurs, habitués à commander en ligne, ne se rueront pas davantage dans les librairies ou ce sera à la marge. En outre, ceux-là mêmes qui ont des sites de vente en ligne se tirent une balle dans le pied car ils seront logés à la même enseigne. Amazon ? Sans doute : le géant américain dispose de ses propres moyens de distribution et ne fera que se mettre cette nouvelle manne financière dans la poche. Les éditeurs ? Ceux qui disposent d'un réseau de distribution ne seront pas touchés, mais ils se priveront sans doute d'une part de chiffre d'affaires réalisé en ligne. Quant aux très nombreux éditeurs indépendants qui n'ont pas de distributeur, donc peu de visibililté en librairie, ils ont tout à perdre, car ils ne pourront plus offrir à leurs clients une part non négligeable des frais d'expédition. Les lecteurs ? ceux qui sont éloignés des librairies, éloignement, handicap, etc. paieront leurs livres plus chers. Les auteurs ? Sûrement pas : le marché de l'occasion va être favorisé par cette mesure où les créateurs et les éditeurs ne sont pas rémunérés.

Et le grand perdant dans tout ça ? La bibliodiversité car de très nombreuses petites maisons d'édition indépendantes, courageuses, audacieuses, déjà mises à mal par la crise du Covid, seront amenées à fermer leurs portes. Les auteurs publiés par ces maisons qui prennent tous les risques pour les faire connaître auront de plus en plus de mal à se faire éditer, car pas assez commerciaux ou pas assez connus ou ne disposant pas d'un relationnel suffisant, et se verront contraints de remiser leurs textes dans les tiroirs ou de se tourner vers l'autoédition... chez Amazon !