conte de noël

Martine Gasnier

Tigrou et le Père Noël

Par Le 21/12/2024

Conte de Noël de Martine Gasnier (décembre 2024)

Tigrou, le chat de gouttière au pelage couleur de chagrin, avait élu domicile dans le grenier d'une maison abandonnée au fond d'une impasse. Il y partageait son temps entre d'interminables siestes, la chasse aux souris et l'exploration des malles à souvenirs, laissées par des humains oublieux de leurs rêves. L'une d'elles contenait des livres qu'en d'autres temps des enfants sages avaient lu. Ils racontaient des histoires d'ogres et de loups, de fées et de lutins. Beaucoup parlaient aussi du miracle de Noël et Tigrou les lisait avec un intérêt tout particulier. La fête approchait, il le savait parce que, de sa lucarne, il apercevait la ville illuminée. Il songea que le temps était venu de rejoindre le monde pour célébrer, avec lui, une nuit d'espérance. Lorsque sonna l'heure, il se livra à une toilette minutieuse, vérifia l'état de son museau et celui de ses moustaches qu'il voulait débarrasser des toiles d'araignée colonisatrices. Puis il se regarda dans le miroir terni par la poussière et il se trouva beau. Aux cloches des églises, les carillons s'en donnaient à cœur joie. Il sortit.
Les rues de sa banlieue minable n'étaient que parcimonieusement éclairées et des ombres en profitaient pour tenir conciliabule au pied d'immeubles improbables. Quelque part, un coup de feu retentit, les conspirateurs s'enfuirent à coups de sifflets signalant le danger imminent. Tigrou, affolé, s'était mis à courir. Il traversa des carrefours, risqua de se faire écraser et se retrouva finalement dans la féerie des lumières. Après avoir repris ses esprits, il avisa une grande demeure cossue où sculptures et fer forgé, qui ornaient la façade, attestaient du statut social des occupants. Il s'approcha à pas de félin et regarda.
Sous les lustres ruisselant de cristaux, des silhouettes, un verre à la main, se livraient à un ballet d'une nonchalante aisance. C'était sans doute le charme discret de la bourgeoisie. Soudain, la porte s'ouvrit pour accueillir un couple qui transpirait la certitude de son élégance, Tigrou en profita pour se faufiler. Il parvint dans une antichambre qui servait aussi de vestiaire et remarqua les nombreux manteaux de fourrure accrochés à des cintres comme autant de dépouilles. La panique s'empara de lui. Il chercha, mais en vain, à faire demi-tour. À ce moment, un chat siamois, le poil hérissé et miaulant de colère surgit. Le visiteur inattendu s'inclina avec déférence mais l'autre le prévint que jamais inconnu ne s’immiscerait dans sa vie. Quelques amis, triés sur le volet, suffisaient à son bonheur. Les maîtres, eux-mêmes, ne recevaient que des habitués, à jour fixe pour ne pas dérégler le temps. Là-dessus, il poussa sans ménagement l'importun vers la sortie.
Dehors, les premiers flocons de neige voltigeaient dans l'air immobile et Tigrou, les yeux remplis de larmes, doutait des contes de Noël. Les écrivains étaient des menteurs. À peine remarqua-t-il un vieil homme à barbe blanche, tenant un enfant par la main, qui s'approchait de lui, un bon sourire sur les lèvres. Il se sentit soulevé avec douceur, enveloppé dans une couverture étoilée et emporté dans les bras amis. Bercé par la chaleur et le rythme de la marche, il s'endormit. Quand il se réveilla, des visages joyeux se penchaient sur lui. On lui avait préparé un panier moelleux et une assiette de poisson. Il réveillonna, reçut tant de caresses qu'il en fut un peu étourdi. Le grenier et la solitude étaient loin derrière lui. Devenu prince en sa famille, il y vécut des jours heureux et écrivit, à chaque Noël, un conte pour les chats tristes.

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Conte de Noël de Martine Gasnier

Par Le 17/12/2023

Ce Noël d’une année sans date, César, le roi-lion à l’insigne sagesse, a fait battre tambour pour prévenir ses sujets de l’arrivée d'une horde de chats errants, tambourinant aux portes du royaume. Il a demandé qu’en ces temps où l’on célébrait la naissance du Sauveur, le meilleur accueil fût réservé à ces damnés de la terre. On écouta, incrédule, la demande du vieux monarque.
Depuis des lustres on luttait, souvent en vain, pour établir la concorde entre les gloussements des gallinacés, les rugissements des grands félins et le chant des oiseaux musiciens. Les chiens de garde du palais montraient parfois les crocs et quelques morsures distribuées à tort et à travers déclenchaient la colère de groupes incontrôlés qui saccageaient tanières et enclos résidentiels.
Les fauteurs de trouble se nommaient Raminagrobis, Mistigri ou Grippeminaud. Tous anarchistes. Qu’allait-on faire de nouveaux citoyens de seconde zone ? La polémique enflait et, dans les rues de la capitale, tous ceux qui pouvaient se prévaloir d’un pedigree organisèrent des manifestations aux slogans ressuscités d’un passé nauséabond. Les conseillers de César eux-mêmes se montraient divisés mais avec une prudence teintée de lâcheté. Ils finiraient toujours par se rallier au pouvoir. Le souverain le savait et s’en amusait secrètement.
L’attente planait sur le réveillon désormais imminent. C’est alors que sur les remparts les trompettes retentirent et que l’on vit s’avancer un long cortège de chats sans grade, rescapés de la barbarie humaine ou de guerres intestines pour un arpent de territoire. Leur nombreuse progéniture, éblouie par les lumières de la fête, miaulait d’étonnement et d’espoir. En voyant passer ce troupeau d’éclopés, beaucoup malgré leur a priori succombèrent à la pitié et les portes des maisons s’ouvrirent pour eux. On n’eut à déplorer aucun incident et César, cette nuit-là, vécut la plus belle aventure de sa longue carrière royale.

Martine Gasnier, décembre 2023

Martine Gasnier

Conte de Noël de Martine Gasnier

Par Le 24/12/2021

La nouvelle s’était répandue dans le pays : les jouets manqueraient à Noël. Les journaux télévisés en firent leurs titres et la frénésie s’empara des parents. À peine avait-on célébré la fête des défunts que les temples de la consommation alignaient sur les rayons les cargaisons de super-héros et de fées en tout genre débarqués de l’Empire du Milieu. On encourageait les enfants à écrire dès maintenant Boite lettres pere noelleur lettre au Père Noël. Comme ils avaient, eux aussi, cédé à la panique ils dressaient d’interminables listes censées leur garantir l’essentiel. Les petites filles cédaient à leur nature et commandaient, en dépit des avis d’experts patentés, tout ce qui ferait d’elles, plus tard, des épouses et des mères exemplaires. Les petits garçons eux, s’engageaient sur la voie de la lutte effrénée pour le pouvoir au travers de jeux où donner la mort n’était qu’une occupation parmi d’autres. Les plus grands privilégiaient les téléphones multi-services qui leur fourniraient des amis virtuels dont ils ne sauraient jamais rien. Le baromètre économique était au beau fixe.

père Noël en traineauMais là-haut, dans une contrée où l’on parcourt les déserts glacés en traîneaux attelés de rennes multimillénaires, le Père Noël s’inquiétait. Les lutins messagers lui apportaient, chaque jour, des sacs de courrier en un ballet incessant qui lui donnait le tournis. Au début, il avait cru pouvoir faire face. Ses aides décachetaient les enveloppes et il lisait les vœux formulés armé d’un stylo à l’encre rouge pour censurer les demandes par trop déraisonnables qui mettraient à mal son budget, contraint cette année en raison de la décision d’un ministère lointain connu seulement pour sa propension à procurer des ennuis aux hommes de bonne volonté. Il veillait tard dans la nuit et n’allait se coucher qu’après s’être assuré qu’il avait dignement rempli sa mission du jour. Après quelques heures de repos, il reprenait courageusement son travail le lendemain, aux premières lueurs de l’aube. Mais le courrier arrivait toujours, il devait maintenant répondre au monde entier. C’est alors qu’il s’avisa que tous les sacs ne pesaient pas le même poids. Il exigea des explications. Son premier assistant, qui avait beaucoup voyagé lui raconta que, sur terre tous les enfants n’étaient pas égaux. Les plus riches demandaient beaucoup, les plus pauvres se contentaient des restes. Certains ne prenaient pas la peine d’écrire car, depuis longtemps déjà, ils ne croyaient plus au Père Noël. En entendant ces mots, le vieil homme, pris de doute, tira sur sa longue barbe blanche à plusieurs reprises. Que l’on ne croie plus en lui le rendait triste, si triste que des larmes cristallines baignèrent ses yeux pleins de bonté.

Alors il décida de tenir conseil pour savoir comment réparer le tort subi par les plus démunis. Aucune parole malveillante ne fut prononcée, aucun jugement défavorable ne fut émis. Il ne s’agissait pas de s’ériger en justicier mais seulement d’envoyer aux enfants du monde entier un message d’amour, le même pour tous. On abandonna la lecture des lettres et le bonhomme Noël prit la plume. Des trottoirs de Manille aux quartiers huppés des grandes capitales, il n’oublia personne. Pour la première fois, depuis des lustres, la fête avait retrouvé son sens.Enfants du monde

© Martine Gasnier (décembre 2021)

Voeux 2021

Conte de Noël

Par Le 20/12/2020

Cette année-là, le monde préparait Noël sous la menace. Un être maléfique, dont on ne savait rien, régnait sur terre et répandait la terreur. Certains disaient que des apprentis sorciers, dans des contrées mystérieuses, l’avaient créé en jouant avec des éprouvettes. Forts de leur trouvaille, ils avaient libéré leur créature pour mettre l’humanité à genoux. D’autres, comme au bon vieux temps, évoquaient la colère divine et réclamaient des cérémonies expiatoires. On chercha des boucs émissaires et l’on en trouva. Mais comme la civilisation était passée par là les imprécations demeurèrent virtuelles. On n’eut à déplorer aucun bûcher. Les savants eux-mêmes y perdaient leur latin et le peuple, dubitatif, n’y comprenait plus rien. Il semblait qu’on ne pût combattre la morosité qui, peu à peu, s’était installée sous les masques. On s’apprêtait à vivre des fêtes amputées de leur âme. Seuls les enfants croyaient encore au miracle. Et il eut lieu. Dans toutes les maisons, le Père Noël avait déposé pour eux, au pied du sapin, un livre merveilleux. C’était, dans un pays qui ressemblait au leur, l’union des petits et des grands pour terrasser l’ennemi invisible. À la dernière page, la victoire était assurée. Le covid gisait tout aplati. Autour de sa dépouille une ronde endiablée s’était formée.

© Martine Gasnier